Alors que l’Aïd-el-Kébir approche à grands pas, la filière des ovins et des caprins est sous le feu des projecteurs en raison des multiples cas de putréfaction de la viande relevés l’année dernière. L’Etat a pris les devants pour instaurer un système de traçabilité qui livrera ses résultats en août prochain.
Septembre 2017. Des dizaines de familles marocaines qui venaient de sacrifier le mouton de l’Aïd-el-Kébir découvrent avec stupéfaction que la couleur de la viande de leur bête a viré au vert. Résultat, de nombreuses familles n’ont d’autre choix que de jeter purement et simplement cette viande avariée. Rapidement, les images et les vidéos de ces viandes font le tour de la Toile et tout le monde y va de son opinion pour expliquer ce phénomène.
«Les familles étaient dans l’incompréhension totale et les rumeurs accusaient les éleveurs d’utiliser des hormones, des protéines, voire des pilules contraceptives pour améliorer le poids des moutons. Ces propos sont des aberrations scientifiques», affirme le docteur A. Mrabet, vétérinaire et lui-même petit éleveur.
Légendes urbaines ?
Le phénomène de «dopage» n’est pas nouveau. À l’occasion de chaque Aïd-el-Kébir, des familles découvrent à leurs dépens que le mouton acheté est soit malade, soit engraissé grâce à un régime au sel ou à l’orge. «L’inventivité des fraudeurs pour flouer le consommateur est sans limites. Pour les appliquer à une vaste échelle, c’est pratiquement impossible de passer inaperçu. Imaginez l’impact de la vente de grosses quantités d’anabolisants contraceptives (Minidrill) sur le marché du médicament, sans oublier qu’il existe un circuit légal de prescription», analyse le docteur Mrabet.
Pour couper court aux rumeurs, l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA) a réagi pour mettre les choses au clair. «Cette situation s’explique par le non-respect des règles d’hygiène liées à l’abattage et à l’égorgement du mouton, mais aussi aux conditions de conservation de la carcasse avant sa découpe et son stockage par réfrigération ou par congélation», peut-on lire dans le communiqué de l’ONSSA.
Des explications qui n’ont pas convaincu grand monde. Pis, les accusations se sont dirigées vers les pharmaciens accusés de commercialiser sans prescriptions des substances supposées engraisser les animaux. La riposte de l’Ordre des médecins ne s’est pas fait attendre. Cette analyse ne convainc pas d’autres praticiens, même s’ils avouent se conformer aux conclusions de l’ONSSA résultant de l’analyse de plusieurs prélèvements.
«Comment expliquer que le même phénomène a été relevé par les autres pays du Maghreb comme la Tunisie et l’Algérie? Par ailleurs, pendant plusieurs années, les Marocains ont fêté l’Aïd-el-Kébir en plein été, pourtant aucune putréfaction de la viande n’a été constatée», s’étonne le docteur M. Jari, vétérinaire dans la région d’El Jadida.
La filière sous haute surveillance
Début juin, une réunion du Conseil national de l’ordre des pharmaciens avec le président de l’ONSSA, présidée par Aziz Akannouch, ministre de l’Agriculture, a été tenue en vue de discuter des mesures à prendre afin d’éviter ce problème de la décoloration de la viande.
L’ordre des pharmaciens s’est engagé à dénoncer toute commande ou vente anormale des produits dopants. Il a attiré l’attention sur les filières clandestines qui importent illégalement des produits servant à engraisser les animaux dont l’usage peut s’avérer dangereux pour la santé publique.
Des propos confirmés par le docteur M. Jari: «Plusieurs produits en provenance de Mauritanie et d’Algérie sont en vente libre dans les compagnes le jour du Souk. Ils échappent à tout contrôle et aux règles de conservation. Les éleveurs les utilisent sous prétexte qu’ils tuent les parasites ou les microbes que portent les moutons. Dans ce cas, on plonge dans la problématique générale de la contrebande des médicaments».
Pour endiguer ce phénomène, le ministère de l’Agriculture, en concertation avec la Fédération interprofessionnelle des viandes rouges (FIVIAR) et l’ONSSA, a lancé une opération d’enregistrement des unités d’élevage et d’engraissement, avec à la clé l’identification à travers la pose gratuite d’une boucle spéciale “Aid Al Adha” pour le cheptel destiné à l’abattage. Objectif: avoir une traçabilité des bêtes qui seront sacrifiées pour identifier la source de microbe qui génère la décoloration de la viande si le phénomène se reproduit cette année. Verdict le 22 aout prochain.
L’article Les viandes "verdâtres" inquiètent à l'approche de l'Aïd El Kébir
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