Le pari réussi de l'art contemporain africain à Marrakech







Grand succès pour 1-54 qui se tient jusqu’à ce soir dimanche à la Mamounia. La foire a attiré un public de qualité venu aussi dans la ville pour l’ouverture de fondations, galeries et musées privés.

La fondatrice de 1-54, Touria El Glaoui, est en passe de gagner son pari. Pour lancer un évènement au Maroc, il faut avoir des réseaux d’influence. Et visiblement, cette entrepreneuse marocaine, fille du peintre Hassan El Glaoui et petite-fille de Thami El Glaoui, pacha de Marrakech qui joua un rôle politique et militaire majeur au siècle dernier, connaît du beau monde.
Ce week-end, la Mamounia, principal partenaire qui a servi d’écrin à cette foire, nouvelle petite soeur des éditions de Londres et de New York, affichait complet. Jamais il n’y a eu autant de bouillonnement culturel dans ce palace rénové par Jacques Garcia. Son directeur général, Pierre Jochem (avec son épouse) était en haut des marches ainsi que son directeur exécutif, Denys Courtier, pour serrer la main aux personnalités importantes du pays qui ont fait le déplacement, de Casablanca à Rabat, en passant par Tanger. Ou à d’autres venus de Paris comme Jack Lang, ancien ministre de la Culture et président de l’Institut du monde arabe. Nombre de Français, piliers de Marrakech ont profité de l’occasion pour inviter leurs amis dans leur riads de la Palmeraie. Les marchands Pierre et Marianne Nahon et les collectionneurs Bernard et Clotilde Herbo affichaient maison pleine…
C.Figaro
Une foule dense très chic, en robe du soir et costume sombre, s’est pressée dans les allées de cette foire dédiée aux artistes contemporains africains et ceux de la Diaspora, pour découvrir les 17 galeries qui avaient déjà toutes beaucoup vendu avant le vernissage officiel de vendredi soir. Celui-ci était suivi d’un dîner avec les principaux sponsors – Wendell ou la fondation TGCC – ayant profité de la foire pour inviter leur gros clients ainsi que d’importants collectionneurs du pays. Sur plusieurs jours, le programme VIP bien rempli avait incité nombre d’amateurs a venir.
Cette nouvelle foire a été l’occasion de voir si Marrakech s’est étoffée de nouvelles galeries et musées privés, à l’image de celui d’Al Maaden d’Othman Lazrac, fils du promoteur immobilier Alami Lazrac qui a enfin ouvert ses portes officiellement lors d’une grande soirée samedi soir. Outre exposer quelques unes des 2 000 pièces de la collection de la famille (superbe composition poétique à l’étage de Soukaina Aziz Al Idrissi!), le musée entend faire des expositions à thème. Celle pour inaugurer les lieux, «l’Afrique n’est pas une île» est une déambulation à travers les choix qu’Afrique in visu propose depuis dix ans sur sa plateforme. Ce lieu moderniste avec boutique et petit espace pour les dattes et le thé à la menthe ne manque pas de rendre un hommage à la photographe et vidéaste franco-marocaine, Leila Alaoui, décédée en 2016 dans les attentats terroristes à Ouagadougou.
La renaissance de l’art africain
Pourquoi des villes d’Afrique comme Cape Town se doteraient d’un nouveau musée d’art contemporain et pas Marrakech? «La ville n’a toujours pas son grand musée public, signe que l’État marocain n’a pas encore mesuré l’importance de soutenir la création culturelle de son pays» a déploré Bernard Herbo, à l’issue d’une conférence sur la «géopolitque de l’art» donnée par Nathalie Obadia, dans l’auditorium du nouveau musée Yves Saint Laurent. La galeriste parisienne qui donne des cours sur l’«analyse du marché de l’art contemporain» à Sciences Po Paris est venue en repérage avec Daniel Templon. Nombre de professionnels étaient là aussi en observateurs comme le Parisien Martin Guesnet d’Artcurial – la maison de ventes y fait des expositions ventes chaque année – ou le Bruxellois Didier Claes, spécialiste de l’art africain et collectionneur d’art contemporain.
C.Figaro
Longtemps sous-estimé, l’art africain connaît depuis une dizaine d’années un renouveau. En 2008, l’exposition «Africa Remix» au Centre Pompidou avait ouvert la voie à une reconnaissance internationale officialisée en 2017 avec «100% Afrique» à La Villette et «Art/ Afrique, le nouvel atelier» à la fondation Vuitton. Mais en dehors d’initiatives privées (comme celle de la Fondation Zinsou à Cotonou au Bénin), l’Afrique n’était pas encore suffisamment investie pour participer à ce grand souffle de renaissance.C’est seulement aujourd’hui que Marrakech semble mûre pour devenir une plaque tournante de l’art sur ce continent regroupant 54 pays! D’où le nom donnée à cette foire qui récolte le succès de ses efforts…
Les lignes bougent. Et durant ce week-end, ceux qui sont venus dans la ville rose ont pu le ressentir. Dans les nouveautés qui vont booster le marché dans la ville, il y a le comptoir des Mines créé en 2016 par Hicham Douadi (Compagnie Marocaine des Œuvres et Objets d’Art). Il y a quelques années, ce dernier avait lancé Art Marrakech qui n’a tenu que deux éditions. «Nous étions en plein dans les turbulences du printemps arabe», justifie ce dernier et les «galeries n’étaient pas prêtes à faire les mêmes efforts que leurs homologues internationaux pour soutenir le marché».
Dans le quartier de Guéliz, douze artistes ont investi le bâtiment des années 30, sur 1 000 mètres carrés, à tous les étages, pour un joyeux dialogue. Intitulé «Traversées», l’exposition questionne à sa manière l’état du monde tel qu’il est perçu depuis le Maroc. On nous parle d’exode, de mobilité, de déséquilibre économique ou de liberté à l’ère où le numérique conditionne tout. Marrakech multiplie les projets pour attirer les jeunes créateurs ne venant pas que d’Afrique et c’est bon signe. En témoigne le jardin rouge avec sa résidence d’artistes à 30 km de la ville, sur la route de Fez. À côté de son espace d’art où s’exposent en ce moment Dominique Sinkpè ou Charly Dalmeida, le lieu est un havre de paix dans les champs d’oliviers.
Pour qu’il y ait une deuxième édition de cette petite foire fort sympathique dont le label pourrait se revendre un jour, il faut que les marchands y fassent des affaires. Et visiblement, dès l’ouverture, l’ébullition n’était pas que fictive. Elle a abouti à de nombreuses transactions car les prix étaient très attractifs. Certes il y a l’effet nouveauté de cette foire. Mais tous les marchands avaient le sourire.
C.Figaro
À commencer par Loft Art Gallery qui a rapidement vendu tout son mur de photos rebrodées à la main par l’ivoirienne Joana Choumali (1 800 euros) , celle de Louis Simone Guirandou qui a cédé dès la première heure un grand dessin rouge de Nù Barreto (3 000 euros) ou celle d’André Magnin dont le stand affichait de nombreux points rouges sur les peintures d’Amadou Sanogo ou les photographies du Congolais Kiripi Katembo dont les prix, quant à eux, oscillaient entre 15.000 euros et plus de 20.000 euros. Sur tous les stands régnait une belle énergie donnée par les oeuvres en textile coloré du Malien Abdoulaye Konaté (Blain Southern et Primo Marella Gallery) ou celles d’Hassan Hajjaj, le «Warhol marocain» défiant le public avec sa femme voilée entourée de cannettes de coca-cola…
Jusqu’au 25 février à la Mamounia, 1-54.com
Par Béatrice de Rochebouët

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