L’ex-patron de Google a tenu une conférence vendredi à Munich au cours de laquelle il s’est voulu rassurant sur l’essor de l’intelligence artificielle.
Sur la tribune de l’Université technique de Munich (TUM), la jeune étudiante est visiblement impressionnée. Celui qu’elle va accueillir au pupitre est un hôte rare et prestigieux. «Si vous voulez savoir comment l’intelligence artificielle va changer votre vie, alors voilà l’homme qui a peut-être la réponse», lance-t-elle. Ce vendredi soir, la TUM accueille Eric Schmidt. L’ex-patron de Google est là pour répondre à une question, qui fait l’intitulé de la conférence: «OK Google, c’est quoi l’avenir?». Comme si la formule utilisée par le logiciel de reconnaissance vocale du moteur de recherche avait valeur de sésame pour le futur.
La parole d’Eric Schmidt, qui a aussi participé à un débat dans le cadre de la conférence sur la Sécurité sur «l’impact de la technologie sur les démocraties», est attendue comme un oracle. Depuis le début de l’année, l’homme d’affaires, dont la fortune personnelle est estimée à 13 milliards de dollars, a pris le titre de «conseiller technique» pour Alphabet, la maison mère de l’entreprise. «Cela veut dire qu’il sait tout sur tout», plaisante le président de l’université Wolfgang Herrmann, en l’accompagnant sur scène. Il est d’autant plus ravi de le saluer que Google vient d’accorder un financement d’un million d’euros à son université dans le domaine de la recherche technologique. «La vallée de l’Isar rejoint la Silicon Valley», plaisante Herrmann. «Quand j’ai fait des tests génétiques, j’ai découvert que je venais de Bavière», glisse Schmidt pour séduire son auditoire.
«Nous entrons dans un nouvel âge, celui de l’intelligence», poursuit-il d’une voix calme qui ne laisse pas soupçonner l’ampleur des changements à venir. Discret, Eric Schmidt ne cultive pas le style d’un Elon Musk ou d’un Marc Zuckerberg. «La façon dont les hommes et les machines vont travailler ensemble va redéfinir tout ce qui a été fait jusqu’à présent», résume-t-il cependant en estimant que la révolution arrivera «très vite». «Je ne parle pas des robots tueurs que l’on voit dans les scénarios des films. Tout cela peut arriver, mais en aucun cas tout de suite», assure-t-il sur le ton de la plaisanterie. Pour Eric Schmidt, la technologie restera longtemps au service des individus en les rendant «plus intelligents».
Potentiel et questionnements
Il énumère les exemples. C’est dans le domaine de la santé que les progrès seront les plus évidents, explique-t-il, en choisissant un sujet propice au consensus. «La vision des ordinateurs est meilleure que celle des hommes», explique-t-il en imaginant une consultation chez un dermatologiste. L’ordinateur sera capable d’analyser les caractères d’un mélanome de manière plus efficace «que le meilleur des dermatologistes»: tout simplement parce qu’il pourra comparer l’échantillon avec un nombre incalculable de cas similaires. «Les ordinateurs ont une capacité d’apprendre beaucoup plus vite que les hommes et d’établir des schémas», insiste-t-il en rappelant que l’intelligence artificielle qui a battu le meilleur joueur de go au monde avait appris le jeu en une semaine. «Tout cela ne veut pas dire que nous n’aurons plus de médecins», reprend Schmidt en revenant à son exemple, «mais que nous dirons au médecin d’utiliser cette technologie». Le potentiel est valable dans tous les domaines de la santé.
Le propos d’Eric Schmidt est rodé comme un exercice de communication. Il veut rassurer les sociétés mais aussi les gouvernements qui s’inquiètent du développement sans contrôle des technologies. Sans s’appesantir sur la nouvelle législation allemande qui veut durcir les sanctions contre les réseaux sociaux, Eric Schmidt promet que son entreprise fait tout pour s’y confirmer. Mais «nous ne voulons pas de censure», glisse-t-il. Parallèlement, il veut aussi inciter les Etats et les sociétés occidentales à investir dans ce secteur clé. La Chine, dit-il, n’est pas loin de gagner son pari de «rattraper» l’occident en 2020 et de la dépasser en 2030.
Face aux inquiétudes naissantes dans les démocraties face à la toute-puissance de l’outil technologique, il anticipe les critiques. «Bien sûr que cette technologie pose des questions», dit-il en reconnaissant des bouleversements. En matière d’emploi par exemple: les intelligences artificielles vont menacer des millions d’emplois, comme par exemple avec les voitures automatisées, qui rendront obsolète le concept de chauffeur. «Il n’y aura pas moins de travail», rétorque Eric Schmidt en prenant pour appui la courbe démographique des sociétés européennes vieillissante. Fascinée, l’audience d’ingénieurs et d’étudiants n’a pas cherché à contester l’affirmation ou à s’interroger sur les sorts des salariés peu diplômés. L’ex-PDG de Google échappe aussi à des questions sur l’impact de ces technologies sur les systèmes d’assurance sociale ou sur la préservation des données personnelles.
«Je ne monterai pas dans un avion piloté artificiellement, ce n’est pas assez fiable» Eric Schmidt
Eric Schmidt a déjà changé de sujet: les fake news, rendues de plus en plus puissantes par l’intelligence artificielle. Désormais, des logiciels sont capables de transformer les visages sur les vidéos, d’usurper des identités, de diffuser massivement de fausses nouvelles sur les réseaux sociaux, d’agiter la haine. L’ex-patron de Google veut croire que la technologie sera tout aussi rapide à contrer cette évolution. Il prend pour exemple un logiciel capable de mesurer le niveau d’agressivité d’un discours: «A vous de décider ce que vous voulez entendre», dit-il.
Quelques minutes auparavant, lors d’une intervention à côté de l’ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, Eric Schmidt était allé plus loin sur l’interaction de la technologie dans la vie des démocraties et le besoin de régulation. «Je suis pour la liberté d’expression des individus, pas des robots», plaisante-t-il. Contre les manipulations, «le premier principe, c’est la transparence», estime-t-il. Eric Schmidt n’a pas dit s’il devait aussi s’appliquer aux entreprises privées. «Il faut éliminer les biais» dans les données utilisées par les intelligences artificielles, préfère-t-il expliquer en ingénieur de formation: si les données utilisées par les ordinateurs sont faussées ou manipulées, leurs conclusions le seront aussi. «Ces technologies ne doivent pas être utilisées pour des décisions vitales», suggère-t-il. «Je ne monterai pas dans un avion piloté artificiellement, ce n’est pas assez fiable». La confiance d’Eric Schmidt dans les machines a une limite.
Par Nicolas Barotte
L’article C'est quoi l'avenir? l'ex-patron de Google a la réponse
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