C’est ce mercredi que démarre à Genève la table ronde consacrée au différend du Sahara, en présence des délégations du Maroc, du Polisario, de l’Algérie et de la Mauritanie, six ans après les dernières discussions entre le royaume et les séparatistes. Qu’attendre de ce rendez-vous? A-t-il des chances d’aboutir? Eléments de réponses du politologue et professeur de droit Mustapha Sehimi.
Le Maroc prend part, les 5 et 6 décembre, à une table ronde consacrée à la question du Sahara à Genève. Que peut-on attendre de ce rendez-vous?
Ce qui est important, c’est que pour la première fois, l’Algérie prend part à ces discussions en tant que partie prenante du différend du Sahara. C’est donc déjà une consécration du bien fondé de la position du Maroc, parce que le royaume, depuis des décennies, insiste sur le fait que l’Algérie est impliquée totalement dans le différend et qu’elle doit être impliquée de la même manière dans la recherche d’un processus de règlement. Cette thèse marocaine a été confortée et validée par le Conseil de sécurité dans la résolution 4-40 du 30 octobre dernier. C’est la première fois qu’une résolution du Conseil de sécurité fait expressément référence à l’Algérie, alors que toutes les précédentes se limitaient à évoquer «les pays voisins» ou «les pays de la région».
Comment analysez-vous la composition de la délégation marocaine et l’absence dans cette délégation du patron de la Direction générale des études et de la documentation (DGED) Yassine Mansouri?
L’absence de Mansouri est un point intéressant, d’autant qu’il a été de tous les contacts qui ont été entrepris auparavant. Je pense qu’on a voulu montrer que c’est l’Etat civil marocain, l’Etat institutionnel, qui prend par à cette table ronde. Car Mansouri est le patron de la DGED, qui est un appareil sécuritaire. C’est bien vu à mon avis. C’est un message positif lancé par le Maroc.
Sur les cinq membres de la délégation marocaine, deux qui ne sont pas nés dans les provinces sahariennes. Les trois autres sont natifs du Sahara, dont deux sont élues par les électeurs sahraouis.
En quoi est-ce important?
Cela veut dire que des Sahraouis vont parler avec des prétendus Sahraouis qui affirment représenter les populations sahraouies. Pourquoi je dis «prétendus», tout simplement par ce que Mohammed Khaddad, qui est le chef de la délégation séparatiste, est d’origine mauritanienne.
La main tendue du roi à l’Algérie, exprimée lors du discours du 6 novembre, a-t-elle un impact sur le rendez-vous de Genève?
Oui. C’est important. Car la position du Maroc à propos du Sahara marocain est de dire que l’Algérie est LE problème. C’est elle qui héberge, arme, finance et mobilise son appareil diplomatique en faveur du mouvement séparatiste. Elle est donc le problème mais est en même temps la solution. Aucune solution ne peut être envisagée sans l’implication pleine et entière de l’Algérie. C’est le premier point de la position marocaine.
Le deuxième point est venu opportunément par le discours du 6 novembre dans lequel le roi a appelé les Algériens à régler les problèmes bilatéraux, en leur faisant une offre publique et internationale. Sachant qu’elle aurait pu être faite par un canal plus discret. Cela veut dire que le Maroc conforte sa position dans l’optique de Genève pour dire: je suis dans une totale disposition pour régler les problèmes avec l’Algérie, la preuve je leur fait une offre de négociation totale, sans conditions. C’est un coup de billard à deux bandes. Si l’Algérie refuse de normaliser ses rapports avec le Maroc, la preuve sera faite que c’est elle qui est dans une position hostile et qu’elle ne veut rien régler. Cela va donc rebondir sur Genève et le Maroc pourra donc dire, si cette table ronde échoue: Vous voyez bien que l’on ne peut rien faire avec l’Algérie aujourd’hui, je leur ai fait une offre de normalisation, il n’y a pas eu de réponse officielle. La position du Maroc est à mon avis confortée. Les deux agendas sont donc liés: l’offre de normalisation du 6 novembre et la table ronde des 5 et 6 décembre. A Genève, le Maroc part donc en position de force.
Quid de l’après-Genève ?
Il y a deux options: la première c’est que la table ronde débouche sur un processus de négociation, la seconde c’est qu’elle échoue qu’il n’y a pas d’accord sur un processus de négociations. La responsabilité de l’Algérie sera donc établie vis-à-vis de la communauté internationale.
A mon avis c’est la deuxième option qui est la plus probable. Quelles que soient les pressions de l’ONU et des Etats-Unis, je ne suis pas sûr que notre voisin puisse décider quoique ce soit aujourd’hui, du fait de la crise majeure que traverse le régime algérien.
L’article Interview. Mustapha Sehimi: "A Genève, le Maroc part en position de force"
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