Le lexicologue Jean Pruvost, auteur d’un Dico des dictionnaires qui fait référence, analyse chaque semaine pour Le Figaro un mot de l’actualité. L’écrivain s’interroge aujourd’hui, à l’occasion de la Coupe du monde, sur l’origine du mot «football».
En 1314, le roi d’Angleterre Édouard II, avant même l’attestation du mot «football», interdisait la pratique citadine des jeux de ballon le Mardi gras: ils entraînaient, affirmait-il, une «furie bestiale», dommageable à la paix publique, tant les pratiquants s’y jetaient à corps perdu! Dix ans plus tard, en 1324, était relevé en ancien anglais le mot «fut ball», la «balle au pied», dont le succès serait croissant jusqu’à sa codification en 1848, à Cambridge, et son entrée de «plain-pied» – si l’on peut dire – dans nos dictionnaires, en 1888. Exit alors la «furie bestiale» au profit du sport le plus pratiqué au monde, d’où la création en 1928 de la Coupe du monde de football, qui deviendrait le Mondial, de pleine actualité…
Une belle association de racines germaniques…
En tant que partie articulée se situant à l’extrémité de la jambe, le «foot» anglais, attesté dès le XIIe siècle, est issu de l’ancien germanique «fuoz», en devenant par ailleurs une mesure, de la taille approximative d’un pied humain. Le pluriel «feet» ne passa point dans la composition du mot «fute ball», tant il est vrai qu’un seul pied préside en principe à la maîtrise du ballon poussé devant soi. Quant au «ball» anglais, apparu vers 1200, en tant qu’objet rond, précisent les étymologistes, il vient également du germanique ballo.
C’est ce même germanique que les Italiens du nord empruntèrent pour devenir «balla» vers 1400, lequel s’introduisit tardivement en français en tant que «balle», une «balle» présente en 1534 chez Rabelais qui fait jouer Gargantua «à la balle». Dès lors la «balle» se substituerait progressivement à la «pelote» et à l’«éteuf» alors en usage en français. C’est ainsi que, fort de deux racines germaniques, naissait l’anglais «football» d’orthographe variable vers 1350 pour se fixer peu à peu avec la graphie actuelle au XVe siècle.
Du jeu qui fait fureur au sport mondial
Aucun doute, c’est dès le Moyen Âge que le «football» est très prisé en Grande Bretagne, notamment dans la rue, avec parfois des débordements de violence qui vont, par exemple en 1424, entraîner en Écosse l’interdiction d’y jouer dans la ville. Mais rien n’y fait, la pratique de ce jeu ne cesse de se développer, alors souvent synonyme d’activité ludique assez brutale et populaire. On en retrouve ainsi la trace dans le théâtre de Shakespeare, notamment dans Le roi Lear, au moment où le comte de Kent traite un intendant par trop pénible de «base football player», entendons de «vil joueur de football».
Enfin, malgré l’interdiction de jouer en ville, prononcée par Édouard II, souhaitant éviter tout déchaînement notamment au moment du Mardi gras, la pratique s’en perpétue abondamment dans les rues, et on peut lire ainsi dans un numéro de Lecture pour tous, publié en 1917, que les Britanniques continuent sans vergogne de jouer au football «dans les rues mêmes de Londres».
Jeu populaire, le football prenait cependant ses lettres de noblesse dès 1848, à Cambridge, avec un règlement qui se fixerait assez rapidement au point de donner à ce sport une dimension internationale et de concourir ainsi à son immense succès.
Un anglicisme de longue date
Au cœur d’un ouvrage intitulé Mémoires et observations faites par un voyageur en Angleterre, signé par Henri Misson, publié en 1698, apparaît donc dans un texte écrit en français le mot «football». Cet ouvrage, dont le sous-titre interminable nous réjouit, porte en effet sur ce que l’auteur «a trouvé de plus remarquable, tant à l’égard de la religion, que de la politique des mœurs, des curiosités naturelles, & quantité de faits historiques avec une description particulière de ce qu’il y a de plus curieux dans Londres…»
Le football y est certes présenté comme un jeu très en vogue à Londres même, déchaînant les passions, mais il n’est pas en réalité encore intégré à la langue française en tant que mot courant: il reste une spécialité d’outre-Manche.
Un Supplément éloquent en faveur du «ballon au camp»
Il faut en fait attendre le second Supplément du Grand Dictionnaire universel du XIXe siècle pour qu’un long article soit consacré au «foot-ball», alors agrémenté d’un trait d’union par les successeurs de Pierre Larousse, mort en 1875. Et les lexicographes, émules de l’instituteur bourguignon fondateur de la maison, de définir ainsi le foot-ball: «Jeux. Ballon fait avec une vessie recouverte de cuir ou de caoutchouc et qu’on lance ordinairement avec le pied. Sport qui consiste à lancer le ballon avec le pied.» Il restait, on le constate, encore quelques efforts à fournir pour que la définition soit moins confuse, à défaut d’être précise.
Cependant, le développement encyclopédique offert à cette activité reflétait assurément un bel engagement français des lexicographes qui, sans nul doute dans le sillage de Pierre Larousse, ne furent jamais vraiment très anglophiles. Qu’on en juge à cette première description du «foot-ball».
«Malgré son nom anglais et sa prétendue importation récente, le foot-ball était, depuis des siècles connu et pratiqué par les écoliers français sous le nom de ballon au camp. Les joueurs sont divisés en deux camps: il s’agit pour chacun des partis de faire franchir au ballon des buts placés vers les deux extrémités d’un vaste parallélogramme dans lequel se meuvent les joueurs.» Le lecteur chauvin ne peut qu’être convaincu: la «balle au camp» et le «football» sont de même nature!
Point de «pied-balle» ni même de «balle au pied»
L’on fut certes tenté de traduire l’anglais «football» par «balle au pied» mais il était trop tard et la formule n’eut aucun succès ; comme le week-end, il s’agit bien là d’un mot anglais indétrônable. Ainsi dans un numéro de Vie et langage, de juillet 1960, p. 390 pour être précis, on peut lire ceci: «La Commission du Vocabulaire sportif ne juge pas souhaitable de franciser ce mot, qui est le terme officiel employé par la Fédération. En revanche, on emploiera footballeur de préférence à footballer.» Ce vœu linguistique de 1960 est indéniablement aujourd’hui exaucé. On ne peut pas gagner sur tous les plans!
Une «biscotte» au «pila pedalis»…
En signalant au passage qu’en tant que substantif, «mondial» est un mot entré dans le millésime 1997 du Petit Larousse illustré, qu’avons-nous entendu parmi divers commentaires enflammés lors de ce «mondial»? «Voilà, ça devait arriver, le chef de gare lui a refilé une biscotte!» s’exclame horripilé un «supporteur» de la première heure. «Supporteur»? Un mot également issu de l’anglais «supporter», celui qui soutient, mais qu’on a su franciser et même féminiser avec les «supportrices». Ne pas oublier tout de même que le verbe «supporter» n’a rien d’anglais: il est issu du latin chrétien «supportare».
Revenons donc au bien français «chef de gare»: qui est-il dans le vocabulaire des supporteurs? On l’a deviné, il s’agit de l’arbitre, notamment celui qui a tendance à siffler trop souvent. Et la «biscotte»? C’est bien sûr, le «carton jaune».
On peut aussi, c’est un choix, utiliser un registre particulièrement soutenu, on évoquera alors le latin «pila pedalis» plutôt que le football! Après tout, si l’on n’a pas peur d’un total ridicule lexical, pourquoi ne pas avouer qu’on soutient urbi et orbi, et même mordicus, les champions du pila pedalis.
Jean Pruvost est l’auteur de nombreux ouvrages. Il a été fait Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres. Son Dictionnaire français, outils d’une langue et d’une culture(2007) a reçu le prix de l’Académie française.
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