Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain a exigé auprès de Pékin un bilan officiel du nombre de victimes, 29 ans après les tragiques événements.
Ce 4 juin marque le 29e anniversaire de la sanglante répression des manifestations de la place Tiananmen. Cette date tragique est toujours aussi taboue pour le régime chinois. Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, le gouvernement a envoyé des soldats et des chars pour mettre un terme au mouvement prodémocratie mené par une foule d’étudiants pendant un mois et demi, au cœur de Pékin. Le nombre de victimes se situe entre des centaines et plusieurs milliers, selon les évaluations des organisations de défense des droits de l’Homme et les témoins. Le gouvernement chinois n’a toutefois jamais publié de bilan officiel de cette offensive vivement condamnée par la communauté internationale.
N’hésitant pas à aborder la question frontalement, le secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, a exhorté dimanche la Chine «à publier un recensement exhaustif des morts, détenus et disparus». «Les fantômes du 4 juin n’ont pas encore trouvé le repos», a-t-il ajouté, reprenant les mots de Liu Xiabo, le prix Nobel de la paix décédé l’an dernier alors qu’il était encore en captivité.
Les autorités chinoises mécontentes
«Le secrétaire d’État des États-Unis n’a absolument aucune qualification pour exiger quoi que ce soit du gouvernement chinois», a rétorqué Hua Chunying, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères. Elle a également précisé que la Chine était arrivée depuis longtemps à une conclusion claire sur les événements de cette période, ce qui n’empêche pas, selon elle, Washington de se livrer régulièrement à des «critiques gratuites».
Sans surprise, la presse d’État n’a fait aucune allusion à cette date anniversaire ce lundi. Le rédacteur en chef du Global Times, un quotidien à la ligne nationaliste, et proche du Parti communiste chinois (PCC), a cependant estimé que les propos de Mike Pompeo n’étaient qu’un «coup de pub dénué de sens» et s’apparentaient à une «volonté du monde occidental de s’immiscer dans le processus politique chinois». S’exprimant sur Twitter, un réseau social censuré en Chine, il explique que le régime ne mentionne plus «l’incident» de la place Tiananmen afin d’aider la société chinoise à tourner la page ; ce qu’elle a réussi à faire, selon lui. Il martèle aussi que les manifestants de 1989 ne parviendront jamais à leur fin. «Ce qui n’a pas été atteint avec un mouvement cette année-là sera encore plus difficile à réaliser en organisant des commémorations pleurnichardes aujourd’hui», lâche-t-il.
Un difficile travail de deuil
Le territoire semi-autonome de Hong Kong est le seul endroit en Chine où d’importantes commémorations de l’événement ont lieu. Tous les ans, une veillée est organisée le 4 juin. Un événement de ce genre paraît en revanche peu envisageable à Pékin, où la place Tiananmen était placée lundi sous haute sécurité. Les passeports étrangers étaient vérifiés à un checkpoint à environ un kilomètre de la place, selon l’agence Reuters.
Le travail de deuil est toujours aussi difficile, du fait de ces restrictions. «Chaque année, lorsque nous voulons commémorer nos proches, nous sommes contrôlés, placés en résidence surveillée, ou éloignés de chez nous», regrettent les «mères de Tiananmen», une association regroupant des parents ayant perdu un enfant lors de ces événements tragiques. Dans une lettre ouverte au président chinois Xi Jinping, ils espèrent pouvoir assister avant la fin de leur vie à la «réhabilitation» des membres de leur famille. Et ce, alors que le Parti communiste chinois décrit officiellement les manifestants comme une «petite minorité de personnes ayant provoqué des troubles contre-révolutionnaires». «Nous avons toujours trois revendications: la vérité, des indemnisations et l’établissement des responsabilités», pour ce «massacre», insiste l’association. Un pouvoir dictatorial si puissant «a peur de nous: les vieux, les malades, les plus faibles et les plus vulnérables de notre société», constatent par ailleurs les auteurs de la lettre, qui accusent les autorités de manquer profondément de respect envers les vivants et les morts en ignorant leurs requêtes.
En Chine continentale, l’événement est banni des manuels scolaires, des livres et des films, il fait l’objet d’une censure sur les réseaux sociaux. Plusieurs blogueurs chinois ont été envoyés sous escorte policière en «vacances forcées» en dehors de Pékin, comme chaque année pendant cette période sensible, afin d’éviter tout incident, rapporte Reporters sans frontières (RSF). Hu Jia, prix Sakharov 2008, a ainsi indiqué au groupe de presse Epoch Times qu’il serait «en détention légère» dans la province du Hebei entre le 1er et le 5 juin. Selon Radio Free Asia (RFA), les autorités ont aussi invité le commentateur politique He Depu à partir en voyage pour une destination inconnue à partir du 31 mai.
Près de trois décennies après le mouvement de 1989, la perspective d’une ouverture politique paraît moins imminente que jamais. Depuis son arrivée au pouvoir, Xi Jinping n’a cessé de resserrer l’emprise du Parti sur la société civile. La presse, les religions ou les ONG sont étroitement surveillées. Plus de 200 militants des droits de l’Homme ou avocats ont été interrogés ou arrêtés depuis juillet 2015. Et, plus généralement, toute voix contestataire est muselée ou emprisonnée.
L’article Les États-Unis veulent la vérité sur les «fantômes de Tiananmen»
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