Depuis des années, les tribunes des stades de football d’Algérie sont le théâtre quasi-hebdomadaire de violences, parfois meurtrières, reflets selon les observateurs des frustrations d’une frange de la jeunesse qui peine à s’imaginer un avenir.
Le phénomène a éclaté au grand jour en 2014 avec la mort de l’attaquant camerounais du club algérien de la Jeunesse sportive de Kabylie (JSK), Albert Ebossé, tué sur le terrain par un projectile lancé des tribunes.
Le choc passé, sanctions et campagnes de fair-play n’ont pas empêché le retour de la violence.
Rares ont été, cette saison encore, les weekends de matches -professionnels ou amateurs- sans incident: jets de projectiles entre tribunes adverses ou sur le terrain, envahissement de la pelouse, affrontements entre supporteurs ou avec les forces de l’ordre, agressions d’arbitres…
Les suspensions de terrain et matches à huis clos prononcés n’y ont rien fait.
En décembre, des heurts entre supporteurs lors d’un derby amateur de ligue régionale ont fait un mort.
Et, mi-avril, plus de 100 personnes ont été blessées à l’intérieur et hors du stade lors d’une demi-finale de Coupe, poussant les autorités à hausser le ton.
Le ministère de l’Intérieur a ouvert une enquête -la date de publication de ses conclusions n’est pas connue- et s’est dit déterminé à “en finir” avec le fléau.
La violence dans les stades en Algérie “est proportionnelle au niveau de frustration dans la société”, déclare à l’AFP le sociologue Noureddine Bekkis.
Professeur à l’Université d’Alger 1, il déplore le manque “d’institutions fortes” pour encadrer les jeunes qui accaparent les tribunes, dans un pays où plus de la moitié de la population a moins de 30 ans.
“Le stade était et reste un des seuls espaces libres, sans contrôle du pouvoir, où l’on peut exprimer la vérité sur la réalité sociale”, souligne-t-il.
Un quart des actifs de moins de 30 ans -et 30% des 15-24 ans- sont au chômage, en Algérie, où la vie politique est monolithique, les tabous nombreux et les distractions rares quand on manque d’argent.
“Les jeunes vont au stade avec une agressivité alimentée par un sentiment d’incapacité à s’exprimer, d’impuissance à peser sur leur avenir et à se réaliser”, poursuit Noureddine Bekkis.
Dans le stade, si des tifos organisés par le public sont régulièrement salués, la vétusté des installations, le manque de confort et une mauvaise organisation entretiennent l’ébullition.
“Certaines tribunes n’ont pas de sièges, d’autres même pas de toilettes”, explique Abderrahmane, 17 ans.
Faute de sièges numérotés, les supporteurs, pour s’assurer les meilleures places, s’entassent parfois des heures avant le match en tribune, sous le soleil ou la pluie, ruminant leur énervement.
“La moindre erreur de l’arbitre, l’absence de but ou le comportement d’un fan de l’équipe adverse peuvent les faire exploser”, poursuit cet habitué des stades.
Lors de la demi-finale de Coupe d’Algérie mi-avril, les premiers spectateurs sont entrés dès 07H00 du matin… soit neuf heures avant le match.
La Ligue de football professionnel (LFP) dénonce régulièrement les lacunes dans l’organisation et les mauvaises conditions de sécurité et de confort, assure Amar Bahloul, membre du directoire de l’institution.
M. Bahloul a demandé que les stades soient dotés de caméras de surveillance “afin d’identifier les perturbateurs (…) et leur interdire l’entrée”, comme le font certains pays européens.
L’enquête du ministère de l’Intérieur devra aussi, note une source policière, identifier les “failles sécuritaires” ayant permis l’introduction dans les tribunes de la demi-finale de Coupe de frondes, engins pyrotechniques et armes blanches, visibles sur les images diffusées sur les réseaux sociaux.
Les spectateurs étant fouillés à l’entrée, ces armes sont dissimulées avant l’ouverture des portes avec la complicité de certains stadiers, affiliés au club hôte, assure un autre policier à l’AFP.
Ex-star du football algérien ayant pris part aux Coupes du monde 1982 et 1986, Mohamed Guendouz pointe également du doigt les dirigeants, en les appelant à s’ouvrir aux supporteurs.
“Les responsables des clubs doivent associer le public aux objectifs” de l’équipe, explique-t-il, et ne “pas lui vendre des chimères, afin que la déception ne se transforme pas en violence”.
Il met également en cause la Fédération “qui ne gère que la sélection nationale et son image à l’étranger” et laisse le niveau du “football local se dégrader”.
“Ce qui se passe dans le stade va au-delà des résultats sportifs”, insiste Noureddine Bekkis. “Cela traduit des revendications politiques, économiques, sociales et culturelles et met en évidence l’ampleur des tensions dans la société”.
L’article Vidéos. Algérie: le stade, exutoire violent des frustrations d'une certaine jeunesse
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